La mémoire au présent

Auteure : Patricia Powers

Patricia Powers | Photo : Stephane Lessard

Je suis une enfant de la Révolution Tranquille; un pur produit des années 60. Je suis née une année avant l'assassinat de John Kennedy, quelques années avant la crise d'Octobre, en même temps que les carrières de nos chansonniers, deux ans après l'élection du Premier Ministre Jean Lesage. Ma naissance s'inscrit dans un mouvement social où la parole des poètes se faisait pays, territoire, identité.

Je porte en moi une langue belle et unique maintes fois honorée par celles et ceux qui la disent, l'écrivent et la chantent. Cette « langue de France aux accents d'Amérique », comme le dit Michel Rivard. Une langue qui a traversé l'océan et qui, à force de travail, de résistance, de détermination s'est inscrite au cœur de chaque Québécoise et chaque Québécois.

Une langue de mémoire collective. Notre devise « Je me souviens » nous rappelle sans cesse de cultiver notre mémoire, notre territoire réel et imaginaire. Entretenir notre mémoire c'est se ranger, aussi, du côté de la fierté. Appartenir à la fierté comme un devoir essentiel de protection, de sauvegarde, de descendance. Que retenons-nous de celles et ceux qui participent à la mémoire du peuple que nous sommes? Comment honorons-nous ces femmes, ces hommes qui nous ont chantés, nous ont mis en scène? Que faisons-nous de nos artistes et de leur univers chaque fois unique, chaque fois distinctif?

Nous oublions. Nous passons à autre chose. Nous rangeons nos violons. Nous faisons souvent table rase de la mémoire, car nous croyons à tort que la mémoire fait partie du passé alors que la mémoire vivante rassemble en nous ce qui nous a façonnés, ce qui nous a construits.

L'enfant-espoir que j'étais dans un Québec qui s'ouvrait à lui-même, mais aussi au reste du monde, l'adolescente qui chantait à tue-tête « C'est le début d'un temps nouveau », la femme-adulte qui découvrait que les femmes en chansons au Québec étaient aussi, pour quelques-unes, des auteures-compositrices, cette enfant-ado-femme est triste. Déçue.

Nous avons oublié nos artistes qui ont construit notre mémoire. Nous avons souvent oublié celles et ceux qui sont venus à notre rencontre, qui ont habité notre terre et qui ont uni leurs mots aux nôtres.

Je pense à Stéphane Venne absent durant presque 20 ans de notre paysage chansonnier et qui, au début des années 2000, revenait au monde dans un Star Académie boudé et jugé par les pairs. Je pense à Jacques Michel, à Pauline Julien, à Sylvie Tremblay, à Monique Leyrac, je pense même parfois à Félix souvent inconnu de nos jeunes Québécois. Mais je pense aussi à toi Geneviève Paris. Toi que les auteurs Robert Giroux, Constance Havard et Rock Lapalme décrivent comme une chanteuse « à la voix profonde et grave » de qui le Québec « s'entiche » dans leur ouvrage Le Guide de la chanson québécoise. Toi qui partages la langue commune, toi qui proposes des musiques et des mots qui voyagent bien, qui s'inscrivent dans un imaginaire universel : celui de l'humain inscrit au cœur du monde, au centre de l'âme.

Dans ce septième album où tu affirmes que « L'indifférence tue » et « Pourquoi je chante encore », il y a cet espoir, cet élan « Ma route est solitaire/Mais c'est ainsi que j'avance/Mon impossible espérance ».

Notre nation a semé en nous tous les possibles. Parmi ceux-ci : la mémoire vivante comme partenaire du présent. Une mémoire « espérante ». Comme celle que nous offrent nos artistes d'hier et d'aujourd'hui. Comme celle de Geneviève Paris.

Pour que nos enfants et nos descendants s'abreuvent à notre fierté, il devient urgent d'entretenir, nous-mêmes, une fierté solidaire envers nos artistes et, ainsi, de reconnaître leur apport souverain à notre histoire et à notre demain.

 

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