La Cigale et la Fourmi II
ou Pourquoi je chante… encore… des fois.

Auteure : Sylvie Tremblay

   Sylvie - 1964 | Photo Léo Photographe
   La Ballerine | Dessin : McLeod

Hôtel de ville de Jonquière

Voilà, c'est le début, et il n'y aura jamais de fin à ce moment.

Nous avançons ma cousine Carmelle et moi. Chacune tenant dans une de ses mains une main de mon père.

L'homme aimé qui nous conduit vers la découverte. Il nous aime tant qu'il nous promet dans son silence, l'avenir, et nous permet de participer en même temps que lui à la découverte du monde. C'est précieux, c'est vivant, c'est long.

Un escalier, une porte, c'est noir. Nous ne nous posons pas de questions. Nous y allons, il le désire et nous l'aimons. On n'y pense même pas, mais on sait le moment solennel. Alors, on y va!

Les marches sont hautes, longues, nombreuses, nous les montons. Puis, une porte, il fait noir, nous longeons des rangées de sièges sans trop les voir. Un corridor pour adulte, une odeur de secret, de protocole, de quelque chose que nous ne connaissons pas encore. Et soudain... c'est plus haut, une scène, un lieu silencieux. Nos mains se détachent de celles du père et je sais qu'à ce moment-là, alors que l'odeur du bois du plancher, celle de la poussière des rideaux sombres de cet antre municipal me met au monde. Je sais que je suis chez moi, tout simplement.

Mon père ne m'a vue qu'une seule fois sur scène, je dansais et je n'aurais même pas dû y être. Mon numéro de danse s'était effectué pendant qu'il vérifiait son stationnement, mais Simone Murray Boivin, mon professeur de danse, me demanda d'aller improviser pendant un numéro parce que (je pense) la ballerine qui devait le faire n'était pas capable. Mon père est revenu dans la salle. Alors, il a pu apprécier mon… improvisation. Des années plus tard, ma mère m'avoua qu'il avait les larmes aux yeux. Bref, c'est la seule fois que mon père m'a vue sur une scène, ma mère a peut-être exagéré sa réaction pour me faire plaisir. Il n'a jamais su que j'ai hérité de sa sensibilité vocale. Il voulait que je sois danseuse.

Ma cousine adorée Carmelle n'a jamais été la vétérinaire qu'elle aurait tellement aimé être, moi j'ai fait ce que j'ai pu. Nous avons perdu nos pères très jeunes. Je ne sais pas si elle se souvient de ce moment-là, quand nous montions les marches nous menant à notre premier cours de danse. Il est vrai que nous étions si jeunes, nous avions trois ans! Moi, je n'ai jamais oublié. J'ai téléphoné à Carmelle, elle s'en souvient.


 

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