Histoire en 12 épisodes : De juin 2011 à juin 2012

Auteure : Geneviève Paris
La lettre
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Geneviève Paris en studio | Photo : Sylvain Quesnel

Vendredi 9 décembre 2011

À qui de droit,

3 heures 25 du matin. Je ne dors pas. Il est tellement tard qu'il est très tôt, finalement. Je n'ai pas d'insomnie, pas de soucis. Je n'ai juste pas sommeil, ça arrive.

Comment ça va? En général, bien. En particulier, pas du tout. J'ai la sérotonine à zéro, j'ai le blues à douze, j'ai envie de pleurer sur moi-même, envie de m'apitoyer sur mon sort jusqu'ad nauseam. Un coup parti, je peux bien pleurer pour toi aussi. Pour toi que j'aime et qui ne m'aimes pas, l'autre qui m'aime et que j'aime bien, ou n'aime plus, ou pas, ou toutes ces réponses, et je commence à manquer de virgules.

J'ai de la peine pour mes amis que je n'ai pas le temps de voir. J'ai de la peine pour ma famille qui s'est habituée à mon absence. Pour toutes les fois où on se défile, pour cause d'être un adulte qui a des responsabilités, et pour toutes les excuses bidon qu'on se donne pour garder un minimum d'estime de soi. J'ai de la peine pour le petit monsieur qui vend ses crayons à la porte de la pharmacie, qui veut juste que quelqu'un lui parle un peu et que je n'ai pas vu depuis six mois.

4 heures 22. Pourquoi tant de précision? À quoi ça sert quand le temps élastique me renvoie sans arrêt à l'autre bout de ma vie. Le petit bout de vie où tu étais, celui-là où je ne serai jamais plus. 4 heures 16. Euh... qu'est-ce qui vient d'arriver, là ? Le temps élastique a mal calculé son tir, ce coup-ci.

6 heures 44. Je m'étire un peu. Je regarde dehors. Par le petit trou dans le mur, derrière les petits rideaux. Donnez-moi de la pluie, quelqu'un! De la pluie et de grands vents, si possible. Qu'au moins il se passe quelque chose. Quand on dit « Il fait beau » vraiment, je me marre, « Il » ne fait rien du tout. Quel ennui.

Je fais de la prose morose, je fais de l'écriture instamatique – ce qui ne veut pas forcément dire que j'utilise des clichés, ça ne veut rien dire, ce n'est même pas un mot. Je t'ai vu venir de loin le soir où tu es partie. J'ai aussi vu l'avenir, gros comme une avalanche. J'ai vu le temps précis comme un couteau bien aiguisé... Ce soir-là.

Samedi 10 décembre, 7 heures du mat. Je viens d'avoir une idée, je pense. La journée va être longue.

Vous voyez, c'est ce que font les auteurs. Les auteures aussi. L'auteure est en train d'écrire une lettre d'amour à sa belle, ou même si ça se trouve, elle est en train de lui parler. Tout d'un coup au milieu d'une phrase, l'auteure va découvrir un filon. Une idée pour un poème ou un roman. À ce moment, l'auteure va nécessairement tout laisser en plan, la lettre, la belle, sa mère ou quiconque avec qui elle était en train de parler, et elle va aller travailler. À l'école on me disait souvent que je « sortais du sujet » dans mes dissertations. J'en ai fait un métier.

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