Qui a le droit
C'est à cette chanson de Patrick Bruel que je pense en refermant, chère Geneviève, le troisième roman de ton frère Gilles intitulé Au pays des kangourous, publié il y a quelques mois chez Don Quichotte. A-t-on le droit de mentir à un enfant ? surtout que l'on sait que les pires mensonges ne relèvent pas de ce que l'on dit de faux ou d'erroné, mais plutôt du silence, de ce que l'on devrait dire et que l'on tait. Tu dis dans ton dernier disque que les chanteurs mentent. Les personnages de roman aussi parfois.
Je ne dévoilerai pas ici ce que le personnage principal, Paul, omet de dire à son fils Simon qui a neuf ans. Ce jeune Simon rêve de revoir sa mère qui s'est enfuie, pour travailler, au pays des kangourous. Il demeure avec son père qu'il trouve, un bon matin, caché dans le lave-vaisselle. Déjà, le ton du livre est donné. Paul, écrivain, vit des moments difficiles. Son fils Simon doit souvent être confié à la grand-mère maternelle qui s'en occupe admirablement.
Celle-ci a de nombreuses amies très colorées, toute une galerie de femmes délurées qui ont un plaisir fou à se retrouver entre elles, de vraies sorcières qui s'amusent à faire chanter ce qui reste de vie en elles et autour d'elles. Le petit Paul ne s'ennuie jamais avec elles qui le distraient de la précarité de sa vie, surtout après que le père soit interné en psychiatrie pour dépression.
Simon fait la rencontre, lors de l'une des visites à son père, de l'évanescente Lily, une petite fille qui sait tout de tout. On la croit autistique, mais c'est plutôt une petite sœur de Nadja, du roman éponyme d'André Breton à laquelle le lecteur pense. Lentement, l'amour s'installe dans le cœur et dans l'esprit du jeune Simon. Celui-ci apprend à fermer les yeux, à rêver, à imaginer le monde autrement. Un jour, Lily sort de la vie du jeune garçon. C'est qu'il n'a plus besoin d'elle. Le rôle de Lily est terminé. Elle retourne alors à son monde de rêve, et lui à sa réalité.
Lors d'une sortie de Paul de la clinique, alors qu'il est à la plage avec son fils, ils voient une femme et sa jeune fille non loin sur le sable. Ce sont les deux enfants, avec leur sens de l'immédiateté, qui vont fournir l'occasion au père esseulé et à la femme tout aussi esseulée, mère de la petite fille qui s'amuse dans le sable, de fraterniser, de rendre l'amour encore une fois possible. Et si un couple d'adultes se forme lentement, il y a aussi un couple d'enfants qui prend forme et qui dit oui à la vie.
Le lecteur se retrouve dans la même dynamique que dans la Désobéissance d'Alberto Moravia où le jeune Luca, après avoir poussé la désobéissance à sa limite extrême et jonglé avec la mort, ressuscite suite aux révélations que lui apporte la vision, même lointaine, de la possibilité de l'amour. Eh oui, c'est aussi simple que ça parfois, la vie. L'amour sait encore et toujours la sauver.
Au pays des kangourous un fort beau roman sur la résilience, sans prêchi-prêcha. C'est écrit dans une langue superbe, sans artifices, dans un style dont la beauté relève de la simplicité. Un style qui va de soi, qui coule de source, un peu comme à la sortie d'une représentation théâtrale, où l'on ne sait rien dire de l'éclairage tant il faisait partie d'un tout. Indissociable. Et l'histoire racontée n'est pas du tout banale, ce qui ajoute au plaisir de lire.
Je me propose de lire ses deux romans antérieurs. J'y ai reconnu un écrivain de grand talent.
Réjean BONENFANT,
romancier.
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Gilles Paris | Au pays des kangourous