Écrire relève de la magie
Commencer un nouveau roman revient à s'enfoncer dans la forêt de Brocéliande. Je parle bien sûr de celle où se déroulent de nombreux récits mettant en scène Merlin, les fées Morgane et Viviane, ainsi que certains chevaliers de la table ronde. Et si l'auteur que je suis s'éloigne du mythe, la forêt en question n'en demeure pas moins magique.
Je me perds parfois dans cette forêt, hantée par mes obsessions d'écrivain. Je reviens en arrière. En lisant un passage à voix haute, je ressens une émotion apaisante. Ou une hésitation qui me fait tout recommencer. J'appelle les fées, les elfes, pour un souffle d'inspiration sur un mot qui tarde à venir. Je trébuche sur des racines, trop rêveur. J'essaye d'apercevoir le ciel à travers les branches des arbres. Ce ciel que j'imagine sans nuages, un ciel bleu, uni, comme je les aime. Je respire la mousse, les feuilles, les fleurs de chaque mot, de chaque adjectif que je choisis comme s'il s'imposait à moi. Je m'allonge sur un tapis de feuilles blanches et je les noircis sans réfléchir. Écrire relève de la magie, j'en suis certain. Je n'ai pas peur des pages blanches depuis qu'un écrivain italien m'a dit « pour un écrivain, une page blanche n'a ni largeur, ni longueur. Juste une profondeur dont on fait surgir personnages et histoires ». C'est si vrai. Même si j'efface, copie-colle, ou rature, mes pages se tournent les unes après les autres jusqu'au mot final. Et au mot final, je recommence encore.
J'imprime le roman, car l'écran trop lisse d'un ordinateur ne m'inspire pas pour relire. J'écris en marge, je surligne des phrases dans différentes couleurs pour vérifier ensuite l'exactitude des lieux, du choix des prénoms, des noms de famille. Pour ces derniers, je choisis souvent ceux des gens que j'aime. C'est plus fort qu'une dédicace. Quand je les invente, je vérifie dans les pages jaunes. Ce gros bottin prend de la place mais sert au moins à quelque chose. Je reprends tout depuis le début, je traque la phrase bancale, la virgule mal placée, le mot de trop, ou un autre plus banal que j'essaye de rendre plus poétique. Je fouette le paragraphe pour qu'il reparte au galop. J'écoute Perry Blake en boucle pour rendre un passage plus triste, quitte à verser une larme. Si je pleure, je pourrai alors peut-être partager ma tristesse avec ceux qui me liront. Tout comme je monte le volume des Black Eyes Peas ou de George Michael pour donner du rythme à des phrases trop sages. Mais seul le silence apaise la relecture, à défaut le son de ma voix qui lit inlassablement des passages du roman sur lesquels je ne suis pas vraiment satisfait. Je m'arrête sur un mot, une respiration absente, un adjectif trop banal.
À ce jour, une fois publié, je n'ai jamais relu aucun des trois romans comme si je les connaissais par cœur. Il s'agit bien du cœur en effet, car je préfère tous mes romans. Demanderait-on à une mère lequel de ses trois enfants elle chérit le plus ? Le prochain, L'été des lucioles, paraîtra en janvier 2014 chez l'éditeur Héloïse d'Ormesson. Je dois le rendre avant l'été. J'ai quitté la forêt de Brocéliande et je longe maintenant des chemins bordés de cyprès avec au loin la mer immense qui rejoint le ciel sur sa ligne d'horizon. J'ai hâte d'arriver au week-end où je vais pouvoir enfin revenir sur les corrections. La semaine, mon métier de communicant m'accapare trop. C'est une ligne droite, un peu sage, qui me mène vers l'éditeur. Une accalmie avant tout le reste. Et peut-être le moment que je préfère. Être arrivé presque au bout de ce chemin et avoir donné l'essence de mes émotions. L'essence, pour ne jamais dire le meilleur de soi-même. Qui oserait ?
Gilles Paris
Dernier livre paru : Au pays des kangourous Editions Don Quichotte